TEZEA – L’entreprise à but d’emploi
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À Pipriac, Tezea redonne du travail… et bien plus

 

 

Publié le 10 juil. 2025 par Florence Santrot

Sur un territoire rural breton, l’expérimentation “Territoires zéro chômeur de longue durée” a donné naissance à Tézéa, première entreprise à but d’emploi de France. Huit ans plus tard, la transformation sociale est profonde.

 

L’essentiel

 

    • À Pipriac, Tézéa propose un CDI à toute personne au chômage depuis plus d’un an, sans sélection. Blanchisserie, recyclerie, épicerie, transport… les activités sont multiples et utiles au territoire.
    • Créée en 2017, cette entreprise à but d’emploi s’inscrit dans l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Elle repose sur trois piliers : l’inconditionnalité, la dignité par le travail et un fort ancrage local.
    • Avec 60 salariés aujourd’hui et 155 embauches en huit ans, Tézéa offre une alternative concrète aux dispositifs classiques d’insertion.

 


Sommaire

 

Par une matinée calme à Pipriac, commune d’Ille-et-Vilaine de moins de 4 000 habitants, une petite équipe s’affaire dans la blanchisserie d’un bâtiment sans enseigne tapageuse. On y lave du linge, on trie, on plie. Un peu plus loin, d’autres réparent des palettes, assurent l’accueil d’une épicerie solidaire, font le tri dans les meubles reçus à la recyclerie ou s’apprêtent à accompagner des enfants à la descente du car scolaire. À première vue, rien d’extraordinaire. Et pourtant : ces activités sont portées par Tézéa, première entreprise à but d’emploi (EBE) née en France dans le cadre de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), lancée en 2016.

Depuis janvier 2017, cette structure unique propose un CDI – rémunéré au minimum au Smic – à toute personne privée d’emploi depuis plus d’un an, à condition qu’elle habite sur le territoire depuis au moins six mois. « On ne recrute pas, on fait signer des contrats, nuance Serge Marhic, cofondateur de Tézéa. Toute personne volontaire peut venir, et on lui trouve une activité à exercer, non concurrentielle aux autres activités présentes sur le territoire. » Loin des critères habituels de rentabilité ou de productivité, Tézéa repose sur un principe radical d’inconditionnalité.

 

60 salariés, 30 activités, 1 objectif : l’emploi pour tous

En huit ans, 155 personnes ont signé un contrat avec Tézéa. L’équipe compte aujourd’hui 60 salariés, pour un chiffre d’affaires de plus de 700 000 euros en 2024. Les activités, elles, se sont multipliées, pour atteindre la trentaine : blanchisserie, recyclerie, épicerie, légumerie, entretien de locaux, fabrication de palettes, petits transports… au plus près des besoins de Pipriac et Saint-Ganton, les deux communes concernées. « On prend tout ce qui n’est pas fait par d’autres, tout ce qui n’existe plus ou qui n’a jamais existé sur notre territoire, explique Serge Marhic. On intervient là où personne ne va, sur des horaires trop courts, des missions sans preneur. La sécurisation de la descente du car scolaire, c’est 15-20 minutes matin, midi et soir. »

Contrairement aux dispositifs d’insertion classiques, Tézéa n’impose ni limite de durée ni objectif de « sortie vers l’emploi ». Une femme de 51 ans, sans aucune expérience professionnelle préalable, est ainsi arrivée en 2017. Elle y travaille toujours. « On l’a accompagnée sur différents postes, elle est encore là. Ce qu’elle veut, c’est travailler, tout simplement. » Pour d’autres, Tézéa est un tremplin : sur l’ensemble des personnes passées par l’EBE, une vingtaine ont été recrutées ailleurs en CDI.

« Quand on vous donne un salaire, vous changez. Quand on vous donne du travail, vous changez encore plus », souligne Serge Marhic. La dignité retrouvée est au cœur de ce modèle. Tézéa se définit comme « un outil pour réparer le monde du travail », selon les mots de son directeur. « Ce qu’on a construit ici, ce n’est pas juste une entreprise. C’est une aventure collective, une dignité retrouvée pour beaucoup. Et ça, ça vaut tous les bilans. »

 

Un homme déplace des cagettes de légumes avec un transpalette dans un entrepôt.
Dans la légumerie de Tézéa. © Jérémy Lempin / WD

 

Pas de « profil type », mais un cadre

Les salariés arrivent avec des parcours très variés. « Il y a des gens qui ont fait une carrière et qui se sont écroulés d’un coup. Il y a des jeunes qui n’ont jamais commencé. D‘autres, sont partis loin et veulent revenir. » Certains ont passé plus d’une décennie sans emploi. Tézéa offre un filet solide mais souple, structuré sans exclure. « Ce n’est pas magique. C’est exigeant, c’est du boulot, c’est parfois conflictuel. Mais on y croit. »

« On ne fait pas de l’accompagnement pour faire de l’accompagnement, ce n’est pas une finalité. On fait du travail. » Cette différence est fondamentale dans la philosophie de l’entreprise. Il ne s’agit pas de former ou d’orienter, mais d’engager immédiatement les personnes sur des tâches utiles.

 

Tézéa, un ancrage local profond

L’implantation territoriale de Tézéa est l’une de ses forces. « Aujourd’hui, aucun projet ne se monte à Pipriac sans qu’on soit informés. On est devenus un acteur incontournable », affirme le cofondateur de Tézéa. La structure répond à des besoins très concrets, souvent délaissés : nettoyage de vitres, livraisons de repas, entretien de jardins ou encore accompagnement d’événements locaux. Des missions à faible rentabilité ou à horaires morcelés, mais qui remplissent un vide et créent du lien.

Ainsi, la collectivité n’est plus seulement un financeur : elle devient partenaire et bénéficiaire. Tézéa contribue aussi à la vie culturelle locale, comme en témoigne sa participation à des projets artistiques ou à la gestion d’un futur tiers-lieu.

 

Homme flou passant devant une étagère remplie d’objets anciens dans un magasin vintage
La recyclerie de Tézéa, la seule sur le territoire, est particulièrement dynamique. © Jérémy Lempin / WD

 

Territoire zéro chômeur de longue durée : une dynamique nationale

L’expérimentation TZCLD couvre, à date, 83 territoires. En juin 2025, 4 012 personnes étaient embauchées dans les 92 entreprises à but d’emploi des territoires expérimentaux. L’objectif affiché est de démontrer qu’en réorientant les dépenses passives liées au chômage (allocations, aides sociales), on peut créer des emplois utiles, pérennes, adaptés.

Selon la Dares, environ 2,8 millions de personnes sont considérées comme durablement privées d’emploi en France (chômage depuis plus d’un an). En Ille-et-Vilaine, le taux de chômage se situe autour de 5,9 %, contre une moyenne nationale d’environ 7,5 %. Mais dans certains territoires ruraux, les effets du chômage de longue durée sont plus marqués, avec des logiques d’exclusion durables.

Tézéa, en cela, est un contre-exemple vivant. Et Serge Marhic rappelle la philosophie initiale : « Le discours qu’on a depuis le début, c’est : on vous propose un travail, c’est tout. Pas une mission d’insertion, pas un projet temporaire. Un vrai boulot. »

 

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Une entreprise à but d’emploi fournit des légumes pour la restauration collective (35)

 

Publié le 27 février 2025par Delphine Lethu- Ille-et-Vilaine
Action cœur de ville, Economie Sociale et Solidaire

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Dans l’agglomération redonnaise, l’entreprise à but d’emploi (EBE) Tezea porte une activité de légumerie répondant aux besoins de la restauration collective. Lancée en pleine crise sanitaire en 2020, la légumerie est devenue en quatre ans un maillon essentiel de l’alimentation durable du territoire.

 

Entre Rennes et Nantes, les 31 communes de Redon agglomération sont réparties sur trois départements : l’Ille-et-Vilaine, le Morbihan et la Loire-Atlantique, et deux régions : la Bretagne et les Pays de la Loire. Le territoire enregistre le 3e plus fort taux de chômage de Bretagne, une importante disparition du secteur agricole et peu d’industries agroalimentaires. En revanche, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) est dynamique, avec 19 % des emplois. Tezea, une entreprise à but d’emploi (EBE), est d’ailleurs créée dès la première expérimentation des Territoires Zéro chômeur de longue durée(Lien sortant, nouvelle fenêtre) en 2017. C’est aussi l’année où Redon agglomération lance son Programme agricole et alimentaire de territoire (PAAT) visant la production et la consommation responsables, et s’attaque au sujet de l’approvisionnement en circuit court des restaurants scolaires. 

La difficile logistique en milieu rural

En quelques années, trois tentatives de plateforme entre producteurs locaux et restaurants scolaires échouent. L’approvisionnement des cantines se heurte aux frontières administratives, aux différences de labels ainsi qu’à la difficile logistique en milieu rural. « Un des enseignements est que l’intercommunalité n’est pas la bonne échelle pour porter de tels projets, explique Nicole Giraud, responsable du pôle agriculture, alimentation et ESS à Redon agglomération. L’agglomération doit apprendre à travailler dans chaque département en tenant compte des disparités locales, notamment le fait que la restauration soit gérée en régie ou déléguée. »

Répondre à un besoin non couvert

Une autre idée germe alors, celle de doter le territoire d’un outil de transformation de produits bruts, répondant mieux aux besoins de la restauration collective. Le portage est confié à Tezea. « Une EBE est là pour donner un emploi à des personnes privées de travail en répondant à des besoins non couverts sur un territoire », explique Nicole Giraud. « Les légumeries ont des difficultés à trouver leur stabilité économique à cause de la main-d’œuvre nécessaire et de faibles marges par rapport aux produits bruts, poursuit Serge Marhic, directeur de Tezea. L’EBE a comme finalité d’asseoir un modèle économique avec des activités utiles et non concurrentielles, en prouvant que cela ne coûte pas plus cher que l’allocation versée aux personnes privées d’emploi. » 

Des légumes crus prêts à l’emploi

« La légumerie a été expérimentée pendant la crise sanitaire de 2020 dans un laboratoire loué dans une ferme, témoigne le directeur de Tezea. Le ralentissement de la restauration collective avait entraîné des surplus chez les maraîchers locaux. » La principale activité est le légume de 4e gamme (pomme de terre, carotte, courgette, oignon, potiron) et quelques fruits (pomme et fraise). Il s’agit d’un produit frais lavé, épluché, découpé et mis sous vide avec une date limite de consommation à 7 jours. « Il a été difficile d’évaluer les quantités de légumes disponibles auprès des maraîchers en agriculture biologique ou conventionnelle, poursuit le directeur de Tezea. Nous donnons la priorité aux petits volumes. Nous nous fournissons auprès d’une dizaine de maraîchers. » Très vite, la légumerie s’impose comme un maillon dans la chaîne alimentaire durable. « Tezea fait le lien entre les producteurs et les structures de restauration collective tout en créant de nouveaux débouchés pour les maraîchers locaux. Il est important de regarder l’EBE par le prisme de l’expérimentation zéro chômeur longue durée et donc de la création d’emplois. »

Polyvalence et souplesse permettent la montée en charge

En 2021, Redon agglomération obtient 80 000 euros pour pérenniser le projet de légumerie via le Plan relance des PAT, piloté par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Bretagne (Draaf). « Nous avons fait le choix d’installer la légumerie à côté de notre recyclerie à Pipriac, afin de mutualiser les effectifs, explique le directeur de Tezea. Notre force est la polyvalence des personnes employées, ce qui nous donne de la souplesse car on peut organiser leur temps de travail sur plusieurs activités. » Tezea gère en effet 33 activités : laverie, bois de chauffage, recyclerie… pour 60 personnes employées. Depuis septembre 2024, Tezea produit ses légumes prêts à l’emploi dans de nouveaux locaux équipés d’une ligne de production semi-industrielle sur plus de 250 m². La légumerie monte progressivement en charge, en passant d’un effectif de 8 à 12 personnes à fin 2025 et d’une production hebdomadaire d’une tonne sur trois jours à trois tonnes sur cinq jours. « Nous veillons à un développement lent et bien cadré. Il faut croître doucement pour asseoir le modèle au regard des moyens, des effectifs et des capacités d’investissement. » 

Des selfs qui jouent le jeu de la transformation locale

La légumerie apporte de la souplesse aux structures de restauration qui peuvent concevoir leurs menus à 15 jours et passent leur commande au plus juste une semaine à l’avance. Elle approvisionne 25 structures sur la partie Ille-et-Vilaine de l’agglomération : cantines, restaurants d’entreprises, Ehpad, communes, hôpitaux… « Pour le moment, nos principaux débouchés sont les restaurants scolaires. Le département d’Ille-et-Vilaine impose aux collèges de se fournir auprès de notre légumerie pour assurer une part de produits bios et locaux dans ses menus. Mais nous ciblons toute la restauration collective, pas uniquement les cantines scolaires, afin de maintenir l’activité durant l’été. » En 2025, Tezea devrait équilibrer son modèle avec une production suffisante, même si les factures d’eau et d’électricité sont encore une incertitude et pèsent sur le budget.

Un autre modèle expérimenté pour les communes du Morbihan 

Redon agglomération poursuit sa démarche d’accompagnement de la restauration scolaire vers une alimentation durable et locale. Pour les cantines du Morbihan, principalement en régie, une expérimentation est lancée depuis juin 2024 avec l’association La Palette paysanne, une plateforme portée par les paysans du Pays de Questembert.

Budget d’investissement de la légumerie

Total : 900 000 euros TTC

dont :

Tezea : 450 000 € (prêt)

Département Ille-et-Vilaine : 215 000 €

Agglomération de Redon : 130 000 € dont 80 000 € via la DRAAF

Région Bretagne : 30 000 €

Autofinancement : 155 000 €

Budget de fonctionnement

L’État (Fonds d’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée) et le Département versent à Tezea une aide à l’emploi entre 18 000 et 20 000 euros par Équivalent temps plein et par an

Redon Agglomération

Nombre d’habitants :

66727

Nombre de communes :

31

3 rue Charles Sillard, CS 40264

35605 Redon Cedex

02 99 70 34 34

contact@redon-agglomeration.bzh

Jean-Luc Levesque

Vice-président, en charge de l’emploi, de l’insertion par l’activité économique et économie sociale et solidaire

Rémi Beslé

Vice-président, en charge des transitions écologique, alimentaire et sociétale

Nicole Giraud

Responsable du pôle agriculture, alimentation et économie sociale et solidaire

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Quand TEZEA et les producteurs adhérents du Goût d’ici se rencontrent et s’associent…

ça donne un nouveau point de collecte à #pipriac

A compter du vendredi 4 octobre 2024, vous pourrez venir chercher vos paniers plein de bons produits bio, frais, de saison et presque tous issus de fermes des #vallonsdevilaine à la légumerie de TEZEA

Nous comptons sur vous pour faire du bruit et partager sans modération ! 😉

www.legoutdici.com

#legoutdici#produitsfermiers#circuitcourt#drivefermier#produitsdenosfermes#produitsdesaison#producteursbio

 

 

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Patrick Valentin

Ils proposent des lieux sans chômeurs de longue durée !

« Zéro chômeur de longue durée », c’est possible. Quatre territoires tentent l’expérience et une proposition de loi arrive devant les députés le 23 novembre. L’idée, portée par ATD Quart Monde et objet d’une « grève du chômage » le 15 octobre ? Avec tout l’argent du chômage de longue durée, finançons plutôt des emplois répondant aux nombreux besoins locaux. À l’origine, des gens de terrain autour de Patrick Valentin, expert armé de savoirs, d’humanité et d’une méthode quasi philosophique : le contre-pied.

L’affaire est complexe. Elle révolutionne les comportements politiques, administratifs, individuels. Mais Patrick Valentin a les arguments et le charisme pour convaincre. Rencontre dans son fief angevin, à Saint-Barthélémy d’Anjou, dans les locaux bien sûr d’une association intermédiaire, AITA.

Un jésuite philosophe chez les patrons de la métallurgie

Ce projet « zéro chômeur » vient de loin ! Dans le petit bureau de l’association, nous voilà soudain ramenés à la fin des années 50. Patrick Valentin est alors adolescent. Membre des Conférences Saint-Vincent de Paul, il visite régulièrement des personnes en grande pauvreté. Par là, il nourrit sa vocation, celle de devenir Jésuite. Et il le deviendra.

Ses études de philosophie, théologie, psychologie iront toujours de pair avec le réel. Durant deux ans de coopération, il découvre la pauvreté malgache. Puis il rencontre le grand dénuement indien, les lépreux de Bangalore, les actions du Père Ceyrac et de Mère Teresa. Quand il rentre en France à 23 ans pour reprendre ses études, c’est pour découvrir en même temps le père Wresinski, le fondateur d’ATD Quart Monde, et son principe de vie : «  L’importance des personnes, rappelle-t-il, être à leur écoute, ne pas prendre leur place. »

Il devient donc Jésuite (il le restera neuf ans avant de se marier : le grand chambardement post-68…) À son bagage  en sciences humaines, il ajoute le Droit et l’Économie. La gestion des entreprises le taraude. C’est ainsi qu’il entre à 28 ans au Groupe des Industries Métallurgiques (GIM), le syndicat patronal, pour s’occuper de l’emploi. Trois ans plus tard, fin 74, il quitte Paris pour Angers, toujours au patronat de la métallurgie : une nouvelle découverte va alors le marquer, qui fait rudement réfléchir 40 ans plus tard…

Il y a 40 ans, « nous savions déjà »…

A la montée du chômage déclenchée par la crise pétrolière de 1973 s’ajoute celle de l’informatique.  « J’ai vraiment découvert, dit-il, qu’on était sur une pente où on allait éliminer les moins performants, les moins résistants. On savait très bien que la question de l’emploi allait devenir abominable par rapport à la société. Un de nos adhérents, c’était Bull-Angers. Un ordinateur tenait à peine dans cette pièce mais la miniaturisation était en route à bride abattue. 

Ce que nous savions ainsi déjà, ajoute-t-il, c’est que l’emploi ne serait plus la conséquence de l’épanouissement de l’économie, que l’économie allait s’épanouir sans avoir besoin d’employés. » D’autant plus qu’à la même époque, la mentalité néo-libérale se débride, symbolisée en France par Giscard d’Estaing qui libéralise la monnaie.

La mondialisation est en marche, poussée par les progrès de l’informatique qui abat les frontières. Le cercle se referme sur l’emploi. « Et pourtant, dans ces années-là, on importait encore des bateaux entiers de travailleurs algériens ! Alors qu’on savait que vingt ans plus tard on n’aurait absolument plus besoin d’eux. Nous sommes des êtres très court terme… »

Un pool d’entreprises solidaires

En ce milieu des années 70, Patrick Valentin tombe sur un idée qui va réconcilier ses savoirs et ses valeurs, orienter désormais toute sa vie : l’Aide par le Travail. « J’ai été passionné. Ça faisait le lien avec mon passé. J’ai vraiment découvert qu’en transposant le monde de l’entreprise, on pouvait utiliser l’emploi non plus comme un simple outil de production mais comme la possibilité de donner à chacun un rôle à jouer dans la société. C’est cette révolution-là qui m’a passionné. »

Il se lance aussitôt dans l’emploi des personnes « réputées handicapées », comme il dit. Il participe à la création du premier Centre d’Aide par le Travail du Maine-et-Loire. Et recrute, recrute, en fonction des capacités d’accueil. Il finit par diriger cinq CAT : 500 salariés. « Une belle aventure ».

Quelque quinze années passent et la France découvre « l’insertion », avec le RMI en 1989 et l’intuition d’un Claude Alphandéry qui publie en 1990 Les Structures d’insertion par l’activité économique. Alors Patrick Valentin ajoute aux CAT (bientôt ESAT) les entreprises et associations d’insertion. Aujourd’hui, entre les établissements du secteur handicap et les associations sœurs de l’insertion, un véritable pool d’entreprises solidaires spécialisées dans l’emploi s’est formé, comme on le voit sur ce site.

« Un masochisme qui arrange les plus riches »

Trente ans d’expérience de terrain, d’action et réflexion, fondent ainsi l’opération « Zéro chômeurs de longue durée ». Serait-ce que handicap et chômage, c’est du pareil au même ? Attention, tabou. « Mais c’est quoi le handicap ?, souligne Patrick Valentin. C’est une simple question de degré. Je ne connais pas une seule personne qui peut dire : je n’ai pas de handicap. Au lieu de considérer que ce mot désigne une caractéristique humaine valable pour tous, on se précipite pour en faire une catégorie excluant les autres. »

En fait, il y a « un point profondément semblable entre le travail adapté et le travail d’insertion, c’est le mode de modèle économique. C’est le même. Où l’emploi n’est plus un simple outil de production mais devient un objectif de l’entreprise. »  C’est bien sûr paradoxal : normalement, seul le produit est la raison d’être d’une entreprise. Sauf qu’aujourd’hui le paradoxe mérite d’être sérieusement creusé…

« Nous n’avons pas pris en compte tout le potentiel que représentait la libération du travail contraint. Puisqu’on s’en libère, en mettant des robots, profitons-en pour faire du travail utile. Nous sommes masochistes, un masochisme soigneusement étudié qui arrange les plus riches, comme toujours. On pourrait faire beaucoup mieux, on en a les moyens. Des travaux contraints sont hyperlucratifs alors qu’ils sont éventuellement malsains, et des travaux utiles ne sont absolument pas rémunérés alors qu’ils sont d’une très grande valeur.  Il y a un divorce entre le contraint et l’utile. » 

« Vous avez des gens qui savent travailler, du boulot tant et plus et de l’argent qui dort »

Patrick Valentin l’admet : « C’est très difficile à faire comprendre. La société fait tout à l’envers. Prenez la règle peut-être la plus terrible, la plus centrale aussi dans l’échec : la sélection. J’ai toujours été choqué que pour recruter un salarié, on veuille une pile de CV. Moi je prends le premier qui vient et je vois si ça marche. Toute ma vie, j’ai embauché des gens en leur disant : qu’est ce que vous savez faire, qu’est ce que vous voulez faire, qu’est ce que vous voulez apprendre ?  Et c’était des personnes soi-disant handicapées. 

Une personne privée d’emploi, insiste-t-il, c’est d’une stupidité totale, à tous points de vue :  économique, financier, psychologique, sociétal, social. Et nous savons tous que la croissance économique ne résoudra pas le problème. Il n’y a pas de crise. Il y a une situation d’injustice pérenne qui relève plutôt de la bêtise humaine : l’incapacité à anticiper. » 

« C’est ça notre projet », poursuit Patrick Valentin. Concrètement, avec toute l’expérience de l’économie solidaire, on a entre les mains « toutes les méthodes permettant de sortir de l’ornière : vous avez des gens qui savent travailler, du boulot utile tant et plus et de l’argent qui dort au sens économique : il sert à soutenir de façon très onéreuse pour la collectivité et de façon très médiocre pour les personnes, les gens privés d’emploi. Cela coûte 15  000 à 20 000 € par personne et par an à la collectivité, alors que vous avez des gens qui ne demandent qu’à travailler et plein de boulots utiles à faire. »

« Des petits territoires hyper responsabilisés »

Si le constat est assez simple, la réponse est complexe et le père de « Territoires zéro chômeurs de longue durée » doit contrer les objections. Comment par exemple éviter l’effet d’aubaine, ne pas nuire à l’emploi ordinaire ? « La réponse, c’est l’expérimentation sur des petits territoires hyper responsabilisés, qui auront tous les pouvoirs sur cette expérimentation. » 

Ces territoires, en outre, sont hyper motivés : on n’est pas allé les chercher. « Toute la force vient que l’initiative n’est pas prise par d’autres que les personnes concernées, dans la logique d’ATD. Des candidats sont venus à nous, nous les avons aidés à élaborer leur candidature. Ensuite, nous avons diffusé ces idées et nous avons vu plein de gens se passionner pour ça, souvent très liés à la question de l’emploi d’insertion. » 

Autre point crucial : comment déplacer les 15 000 à 20 000 € du chômage (allocations, manque à gagner, coûts induits…) vers ces emplois ? Le débat est très technique. Sur le papier, la présentation est claire, dans les faits ce sera plus compliqué. Il faudra sans doute passer par des relais financiers provisoires.

Le 15 octobre, des piquets de grève de chômeurs

En attendant, le responsable du Réseau Emploi-formation d’ATD Quart Monde et la dizaine de personnes qui l’entoure sont au front avec les quatre territoires clairement engagés dans la démarche en Ille-et-Vilaine, Meurthe-et-Moselle, Deux-Sèvres et dans la Nièvre. Un cinquième projet les suit dans les Bouches-du-Rhône. D’autres territoires, urbains  cette fois, sont en lice : des quartiers de Lille, Dijon, Lyon, Bordeaux…

« On prépare la grève du chômage du 15 octobre d’arrache pied, poursuit Patrick Valentin. Quand les salariés ne sont pas satisfaits, ils arrêtent le travail. Les chômeurs, là, vont travailler gratuitement en montrant tous les travaux utiles à faire. Un humour très sérieux. Les piquets de grève seront des ateliers publics. A Prémery, par exemple, l’ancienne usine désaffectée va être occupée par trente ou quarante chômeurs qui vont nettoyer, repeindre… »

Parallèlement, Patrick Valentin se démultiplie dans les arcanes des divers pouvoirs avec notamment le député socialiste de la Côte d’Or, Laurent Grandguillaume, auteur de la proposition de loi d’expérimentation, qui devrait pouvoir entraîner l’ensemble du groupe socialiste.

« Quand on me dit « C’est de la folie », j’ai une petite lumière qui s’allume »

Toute l’énergie de la société civile semble concentrée chez cet homme qui fait dix ans de moins que ses 72 ans. Un secret ? « Je suis caractériel, blague-t-il. J’agace beaucoup. Il se trouve que ma famille paternelle est assez originale. Parmi les douze enfants, il y avait cinq religieux, dont mon oncle Sylvain, capucin. Sauvé de justesse à la fin de la guerre, il s’est retrouvé dans une salle commune de l’Association des Paralysés de France, très bas de gamme. Il vivait dans la pauvreté mais était d’origine bourgeoise, il a été scandalisé : « On prend les pauvres pour des choses, ils n’ont pas leur mot à dire ! Je vais vous montrer que le contraire est possible. »  Il a construit sa vie comme ça. 

« Je l’ai souvent accompagné. Moi, je suis pareil. Quand on me dit « C’est de la folie »,  j’ai une petite lumière qui s’allume : « ah, c’est intéressant »… » Autrement dit, avec Patrick Valentin,  non, on n’a pas tout essayé contre le chômage. Et imaginons un peu que toutes les administrations se mettent à phosphorer ensemble pour tenter le pari ?

Michel Rouger
Photos Marie-Anne Divet

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